Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/134

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tère positif s’accusa sous Louis-Philippe, où l’on vit enfin l’enrichissement se proposer sans vergogne et sans fard comme suprême leçon, vérité dernière, moralité définitive d’un demi-siècle d’expériences politiques et sociales. Sur les ruines des régimes, Stendhal vit s’établir le monde nouveau. Il put observer les débuts du règne de la parole et des affaires. Le système parlementaire s’essayait, système essentiellement dramatique, étroitement soumis aux lois du théâtre, tout en apostrophes, en répliques, en brusques retournements des esprits ; système fondé sur le verbe, sur l’événement émotif, sur les effets de séance et les idoles de la scène. Les partis se formaient. On assistait à l’avènement monstrueux des valeurs statistiques, des opinions, des moyennes, des majorités confuses et fluctuantes, pour le maniement desquelles se créait aussitôt l’art de vicier, d’infecter ces sources déjà impures du pouvoir, et d’en interpréter les oracles inconscients ; règne des mythes abstraits et leurs combats, apparitions, agitations de spectres noirs, de spectres rouges, projetés, évoqués, apprivoisés par d’habiles montreurs…

Le même temps connut l’entrée retentissante, dans l’espace politique, de la finance et de la publicité combinées. L’ère des grandes affaires était venue. L’heure sonnait d’entreprendre la vaste transformation du monde par l’industrie. Mais toutes les sciences ensemble n’y eussent point réussi sans la puissance de la parole. L’éloquence commerciale fit naître de toutes parts des vocations innombrables de « gogos ». Les campagnes d’émissions, les prospectus, les réclames irrésistibles multipliant leurs prestiges grossiers, tous les biens se mobilisent à l’appel des faiseurs et des Sociétés. La crédulité publique se développe au delà de toute espérance.