Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/140

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D’ailleurs, poète de l’énergie personnelle, admirateur déclaré des actes fiers et violents de la Convention, adorateur du Bonaparte de la première manière, tout le passé ne lui imposait que fort peu. Il n’en voulait retenir que les traits individuels, les caractères des personnages excessifs et forts de soi seuls. Il avait nécessairement pour tout ce qui est traditionnel les sentiments de tous ceux qui souffrent mal que l’on ait pensé, jugé, choisi pour eux.

À des hommes de cette espèce, traditions et religions sont antipathiques par essence, et même odieuses. Ils y voient des puissances fondées sur l’imitation, et cette imitation renforcée au besoin, comme le marque et le conseille fort bien Pascal, par la comédie :

« Suivez la manière par où ils ont commencé ; c’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, » etc.

(Imaginer ici le visage de Beyle lisant cette phrase, si jamais il l’a lue.)

C’est sans doute qu’en leurs cœurs endurcis, ces hommes-là ne trouvent point ce qui engage à tous les sacrifices de l’intellect et de l’amour-propre et qui ordonne le corps à la comédie, afin que peu à peu il façonne l’âme à la vérité. Ils n’ont point de perception intime de cette substance des choses que nous devons espérer, qui, jointe aux enseignements reçus, aux prescriptions venues du dehors, aux pratiques régulières, accomplit et édifie la religion dans un homme. Ils ne voient à l’extrême de la vie qu’un vilain quart d’heure. Point de lendemain, pensent-ils, et la mort ne leur représente qu’une des propriétés essentielles de la vie : celle de perdre toutes les autres.

On conçoit qu’il existe pour ces esprits ce que j’ai appelé le