Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1895, La Nouvelle revue.djvu/26

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pectes : trop de gens pensent que les anciens avaient tout inventé. Du reste, une théorie ne vaut que par ses développements logiques et expérimentaux. Nous ne possédons ici que quelques affirmations dont l’origine intuitive est l’observation des rayons, celles des ondes de l’eau et du son. L’intérêt de la citation est dans sa forme, qui nous donne une clarté authentique sur une méthode, la même dont j’ai parlé tout le long de cette étude. Ici, l’explication ne revêt pas encore le caractère d’une mesure. Elle ne consiste que dans l’émission d’une image, d’une relation mentale concrète entre des phénomènes, — disons, pour être rigoureux, — entre les images des phénomènes. Léonard semble avoir eu la conscience de cette sorte d’expérimentation psychique, et il me paraît que, pendant trois siècles après sa mort, cette méthode n’a été reconnue par personne, tout le monde s’en servant, — nécessairement. Je crois également, — peut-être est-ce beaucoup s’avancer ! — que la fameuse et séculaire question du plein et du vide peut se rattacher à la conscience ou à l’inconscience de cette logique imaginative. Une action à distance est une chose inimaginable. C’est par une abstraction que nous la déterminons. Dans notre esprit, une abstraction seule potest facere saltus. Newton lui-même, qui a donné leur forme analytique aux actions à distance, connaissait leur insuffisance explicative. Mais il était réservé à Faraday de retrouver dans la science physique la méthode de Léonard. Après les glorieux travaux mathématiques des Lagrange, des d’Alembert, des Laplace, des Ampère et de bien d’autres, il apporta des conceptions d’une hardiesse admirable, qui ne furent littéralement que le prolongement, par son imagination, des phénomènes observés ; et son imagination était si remarquablement lucide « que ses idées pouvaient s’exprimer sous la forme mathématique ordinaire et se comparer à celles des mathématiciens de profession[1] ». Les combinaisons régulières que forme la limaille autour des pôles de l’aimant furent, dans son esprit, les modèles de la transmission des anciennes actions à distance. Lui aussi voyait des systèmes de lignes unissant tous les corps, remplissant tout l’espace, pour expliquer les phénomènes électriques et même la gravitation ; ces lignes de force, nous les apprécions ici comme celles de la

  1. Clerk Maxwell, préface au Traité d’électricité et de magnétisme, trad. Seligmann-Lui.