Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/20

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nieuse. Toutefois, j’aurais peut-être affronté ces ennuis, s’ils m’avaient paru me conduire à la fin que j’aimais. J’aimais dans mes ténèbres la loi intime de ce grand Léonard. Je ne voulais pas de son histoire, ni seulement des productions de sa pensée… De ce front chargé de couronnes, je rêvais seulement à l’amande



Que faire, parmi tant de réfutations, n’étant riche que de désirs, tout ivre que l’on soit de cupidité et d’orgueil intellectuels ?

Se monter la tête ? — Se donner enfin quelque fièvre littéraire ? En cultiver le délire ?

Je brûlais pour un beau sujet. Que c’est peu devant le papier !

Une grande soif, sans doute, s’illustre elle-même de ruisselantes visions ; elle agit sur je ne sais quelles substances secrètes comme fait la lumière invisible sur le verre de Bohême tout pénétré d’urane ; elle éclaire ce qu’elle attend, elle diamante des cruches, elle se peint l’opalescence de carafes… Mais ces breuvages qu’elle se frappe ne sont que spécieux ; mais je trouvais indigne, et je le trouve encore, d’écrire par le seul enthousiasme. L’enthousiasme n’est pas un état d’âme d’écrivain.

Quelle grande que soit la puissance du feu, elle ne devient utile et motrice que par les machines où l’art l’engage ; il faut que des gênes bien placées fassent obstacle à sa dissipation totale, et qu’un retard adroitement opposé au retour invincible de l’équilibre permette de soustraire quelque chose à la chute infructueuse de l’ardeur.