Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/21

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S’agit-il du discours, l’auteur qui le médite se sent être tout ensemble source, ingénieur, et contraintes : l’un de lui est impulsion ; l’autre prévoit, compose, modère, supprime ; un troisième, — logique et mémoire, — maintient les données, conserve les liaisons, assure quelque durée à l’assemblage vouluÉcrire devant être, le plus solidement et le plus exactement qu’on le puisse, de construire cette machine de langage ou la détente de l’esprit excité se dépense à vaincre des résistances réelles, il exige de l’écrivain qu’il se divise contre lui-même. C’est en quoi seulement et strictement l’homme tout entier est auteur. Tout le reste n’est pas de lui, mais d’une partie de lui, échappée. Entre l’émotion ou l’intention initiale, et ces aboutissements que sont l’oubli, le désordre, le vague, — issues fatales de la pensée, — son affaire est d’introduire les contrariétés qu’il a créées, afin qu’interposées, elles disputent à la nature purement transitive des phénomènes intérieurs, un peu d’action renouvelable et d’existence indépendante…



Peut-être, je m’exagérais en ce temps-là, le défaut évident de toute littérature, de ne satisfaire jamais l’ensemble de l’esprit, je n’aimais pas qu’on laissât des fonctions oisives pendant qu’on exerce les autres. Je puis dire aussi, (c’est dire la même chose), que je ne mettais rien au-dessus de la conscience ; j’aurais donné bien des chefs-d’œuvre que je croyais irréfléchis pour une page visiblement gouvernée.

Ces erreurs, qu’il serait aisé de défendre, et que je ne trouve pas encore si infécondes que je n’y retourne quelquefois