Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/36

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sédons sans le savoir tous les éléments de groupe infini. C’est le secret des inventeurs.



Au sortir de ces intervalles, et des écarts personnels où les faiblesses, la présence de poisons dans le système nerveux, mais où les forces et les finesses aussi de l’attention, la logique la plus exquise, la mystique bien cultivée, conduisent diversement la conscience, celle-ci vient donc à soupçonner toute la réalité accoutumée de n’être qu’une solution, parmi bien d’autres, de problèmes universels. Elle s’assure que les choses pourraient être assez différentes de ce qu’elles sont, sans qu’elle-même fût très différente de ce qu’elle est. Elle ose considérer son « corps » et son « monde » comme des restrictions presque arbitraires imposées à l’étendue de sa fonction. Elle voit qu’elle correspond, ou qu’elle répond, non à un monde, mais à quelque système de degré plus élevé dont les éléments soient des mondes. Elle est capable de plus de combinaisons internes qu’il n’en faut pour vivre ; de plus de rigueur que toute occasion pratique n’en requiert et n’en supporte ; elle se juge plus profonde que l’abîme même de la vie et de la mort animales ; et ce regard sur sa condition ne peut réagir sur elle-même, tant elle s’est reculée et placée hors du tout, et tant elle s’est appliquée à ne jamais figurer dans quoi que ce soit qu’elle puisse concevoir ou se répondre. Ce n’est plus qu’un corps noir qui tout absorbe et ne rend rien.

Retirant de ces remarques exactes et de ces prétentions inévitables une hardiesse périlleuse ; forte de cette espèce d’indépendance et d’invariance qu’elle est contrainte de