Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/78

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mettre sur la face d’une maison, aux plis d’un jardin ; il échevèle et frise les filaments des eaux, les langues des feux. En bouquets formidables, si sa main figure les péripéties des attaques qu’il combine, se décrivent les trajectoires de milliers de boulets écrasant les ravelins de cités et de places, à peine construites par lui dans tous leurs détails, et fortifiées. Comme si les variations des choses lui paraissaient dans le calme trop lentes, il adore les batailles, les tempêtes, le déluge. Il s’est élevé à les voir dans leur ensemble mécanique, et à les sentir dans l’indépendance apparente ou la vie de leurs fragments, dans une poignée de sable envolée éperdue, dans l’idée égarée de chaque combattant où se tord une passion et une douleur intime.[1] Il est dans le petit corps « timide et brusque » des enfants, il connaît les restrictions du geste des vieillards et des femmes, la simplicité du cadavre. Il a le secret de composer des êtres fantastiques dont l’existence devient probable, où le raisonnement qui accorde leurs parties est si rigoureux qu’il suggère la vie et le naturel de l’ensemble. Il fait un

  1. Voir la description d’une bataille, du déluge, etc., au Traité de la peinture et dans les manuscrits de l’Institut. (Ed. Ravaisson-Mollien.) Aux manuscrits de Windsor se voient les dessins des tempêtes, bombardements, etc.