Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/29

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— Les anciens tâtonnaient comme nous. Ils tâtonnaient dans l’expérience immédiate, comme nous faisons dans le champ du microscope.

— C’est un champ bigrement fertile.

— Oui. Mais j’ai l’impression qu’il nous produit énormément plus de problèmes qu’il ne nous livre de solutions. C’est là, d’ailleurs, le destin des recherches dont le moyen est le changement d’ordre de grandeur. On s’y engage avec un espoir curieusement… contradictoire…

— Contradictoire ?

— Mais oui… On espère trouver du nouveau…

— Bien entendu.

— Et ceci arrive. Mais on espère que ce nouveau ressemblera assez à ce que nous connaissons déjà pour que nous puissions le comprendre. Et ceci n’arrive pas toujours… Au contraire. Plus on descend dans la petitesse, moins on comprend. Il y a des physiciens qui ont poussé si loin l’analyse fine des choses qu’ils se sont perdus dans un monde où la vieille Causalité elle-même ne les suivait plus… Et que faire, dans un ordre de grandeur où il ne peut plus être question d’images ?… Si les choses ont un fond, ce fond des choses ne ressemble à rien… La similitude s’évanouit… La profondeur est insignifiante. Mais comme elle est curieuse, cette poursuite, dans l’extrême division, de la clef des problèmes de notre ordre !…

— N’empêche que le microscope nous rend d’immenses services…

— Je parle en amateur.

— Il me semble que vous raffolez de tout ce qui ne vous regarde pas ?

— Que faire ? — Je suis Homme. C’est à dire que je fais des choses inutiles. Observez-vous quelquefois les animaux, Docteur ?

— Beaucoup moins que les individus de notre espèce.

— Moi, je les regarde assez souvent. Et savez vous ce que j’ai cru remarquer ?

— J’ai cru remarquer… Et ceci, tout à coup, nous ramène à votre mal. Au mal de l’activité.

— J’ai remarqué… D’ailleurs, j’ai