Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/62

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— Vous en savez, des choses cocasses !…

— C’est professionnel… Dans le conte arabe, c’est d’un duel de magiciens qu’il est aussi question. C’est à qui dévorera l’autre.

— Je vois cela. C’est de la concurrence vitale. La Biologie en raccourci.

— Et la Littérature !…

— Et tout !

— Bref, l’un se fait chat pour dévorer l’autre qui s’était fait rat…

— Dératisation.

— Oui, mais le rat se fait tigre…

— Et le chat se fait lion !

— Naturellement. Mais le tigre se fait puce…

— Bravo ! Mais le lion se fait microbe… Savez-vous ce que ceci me rappelle ?

— Toute la vie, mon cher Docteur.

— Figurez-vous que je me suis laissé porter, il y a quelques années, sur une liste électorale. Les médecins sont très exposés… Bon. J’ai été candidat au Conseil Municipal, dans le XXme… Mon cher, il fallait monter en couleur à chaque instant.

— Vous aviez un magicien très actif comme concurrent ?

— Un pharmacien… formidable ! D’affiche en affiche, de réunion en réunion, la température et la couleur montaient, montaient… On jetait des flammes, on jetait du lest… Et on se flétrissait, c’était un plaisir !… Et les épithètes !…

— Et il vous a dévoré ?

— Non. Il m’a écrasé.

— Le vilain…

— Oh ! C’est un très brave homme. L’année d’après, il voulait à toute force me faire décorer…

— Que diable alliez-vous faire dans la politique ?

— Mais… Je me le demande ?

— Vous voyez bien que vous ne pouvez pas répondre de ne pas faire mon Histoire de la Thérapeutique.

— C’est tout différent.

— Auriez-vous deviné il y a trois minutes que nous allions parler Pharaon et politique intensive ?