Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/86

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— Vous voyez bien !…

— Je vois vert, en attendant.

— Fermez-les.

— Plus je les ferme, plus je vois… Vert, Cramoisi ; bleu tendre, rose.

— Toute la lyre…

— Mon implexe rétinien… Il dit tout ce qu’il sait avant de revenir à l’état libre…

— Entre nous, mon ami, vous faites un peu comme lui…

— Mon bon docteur, je vous ai dit bien des bêtises…

— Bah…

— C’est que j’en ai le plus grand besoin.

— Consultation ?

— Non. Cure.

— À mes dépens ?

— Que voulez-vous !

— Oh ! Je vois bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Mais je ne vous demande rien. En dépit des théories en vogue, je persiste à croire qu’il est des glomérules de rancœur, des pelotons de soucis, dont il vaut mieux ne pas solliciter le fil.

— Oui… Inquieta non movere.

— Tout dépend du sujet. Et vous êtes un de ces sujets que l’on ne sait par quel bout prendre… Vous êtes plein de défenses… virtuelles. Je parie qu’au moindre contact…

— Avant tout contact, à la seule feinte de contact, je hurle… J’entre en transe.

— C’est bien cela. C’est commode ! Ah… Le physique et le moral, chez vous, se tiennent… On peut le dire. Il n’y a qu’à vous voir.

— Et qu’est-ce que l’on voit ?

— Un visage nerveux, ravagé… instant, dirais-je, où il y a du jeune et du vieux étrangement composés. On y lit tous les temps du verbe Être simultanément excités. Vous avez le faciès très accidenté ; et l’œil, tantôt plus présent, tantôt plus absent qu’il ne faut… Savez-vous à quoi vous me faites songer ?… Excusez-moi de la comparaison, elle s’impose à mon esprit. D’ailleurs vous ne m’avez pas ménagé…

— Ne vous gênez pas… Mais ne me dites pas de ces choses qui se ruminent ensuite, qui reviennent dans la