Page:Valéry - Regards sur le monde actuel, 1931.djvu/203

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Mais les peuples insouciants jouissent d’une splendide saison. Jamais le ciel plus beau, la vie plus désirable et le bonheur plus mûr. Une douzaine de personnages puissants échangent, sans doute, des télégrammes ou des visites. C’est leur métier. Le reste songe à la mer, à la chasse, aux campagnes.

Tout à coup, entre le soleil et la vie, passe je ne sais quelle nue d’une froideur mortelle. L’angoisse générale naît. Toute chose change de couleur et de valeur. Il y a de l’impossible et de l’incroyable dans l’air. Nul ne peut fixement et solitairement considérer ce qui existe, et l’avenir immédiat s’est altéré comme par magie. Le règne de la mort violente est partout décrété. Les vivants se précipitent, se séparent, se reclassent ; l’Europe, en quelques heures désorganisée, aussitôt réorganisée ; transfigurée, équipée, ordonnée à la guerre, entre tout armée dans l’imprévu.