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Page:Valéry - Variété IV, 1948.djvu/268

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traduire d’abord son impression en paroles, et il jugera sur paroles, spéculera sur l’unité, la variété et autres concepts. Il pose donc l’existence d’une Vérité dans l’ordre du plaisir connaissable et reconnaissable par toute personne : il décrète l’égalité des hommes devant le plaisir, prononce qu’il y a de vrais plaisirs et de faux plaisirs, et que l’on peut former des juges pour dire le droit en toute infaillibilité.

Je n’exagère point. Il n’y a pas de doute que la ferme croyance à la possibilité de résoudre le problème de la subjectivité des jugements en matière d’art et de goûts, n’ait été plus ou moins établie dans la pensée de tous ceux qui ont rêvé, tenté ou accompli l’édification d’une Esthétique dogmatique. Avouons, Messieurs, que nul d’entre nous n’échappe à cette tentation, et ne glisse assez souvent du singulier à l’universel, fasciné par les promesses du démon dialectique. Ce séducteur nous fait désirer que tout se réduise et s’achève en termes catégoriques, et que le Verbe soit à la fin de toutes choses. Mais il faut lui répondre par cette simple observation que l’action même du Beau sur quelqu’un consiste à le rendre muet.

Muet, d’abord ; mais nous observerons bientôt cette suite très remarquable de l’effet produit : Si, sans la moindre intention de juger, nous essayons de décrire nos impressions immédiates de l’événement de notre sensibilité qui vient de nous affecter, cette description exige de nous l’emploi de la contra­diction. Le phénomène nous oblige à ces expressions scandaleuses : la nécessité de l’arbitraire ; la nécessité par l’arbitraire.

Plaçons-nous donc dans l’état qu’il faut : celui où