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Page:Valéry - Variété IV, 1948.djvu/269

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nous transporte une œuvre qui soit de celles qui nous contraignent à les désirer d’autant plus que nous les possédons davantage (nous n’avons qu’à consulter notre mémoire pour y trouver, je l’espère, un modèle d’un tel état). Nous nous trouvons alors un curieux mélange, ou plutôt, une curieuse alternance de sentiments nais­sants, dont je crois que la présence et le contraste sont caractéristiques.

Nous sentons, d’une part, que la source ou l’objet de notre volonté nous convient de si près que nous ne pouvons le concevoir différent. Même dans certains cas de suprême contentement, nous éprouvons que nous nous trans­formons, en quelque manière profonde, pour nous faire celui dont la sensibi­lité générale est capable de telle extrémité ou plénitude de délice.

Mais, nous ne sentons pas moins, ni moins fortement, et comme par un autre sens, que le phénomène qui cause et développe en nous cet état, et nous inflige sa puissance invisible, aurait pu ne pas être ; et même, aurait dû ne pas être, et se classe dans l’improbable. Cependant que notre jouissance ou notre joie est forte comme un fait, l’existence et la formation du moyen, de l’instrument générateur de notre sensation nous semblent accidentelles. Cette existence nous apparaît l’effet d’un hasard très heureux, d’une chance, d’un don gratuit de la Fortune. C’est en quoi, remarquons-le, une analogie parti­culière se découvre entre l’effet d’une œuvre d’art et celui d’un aspect de la nature, dû à quelque accident géologique, à une combinaison passagère de lumière et de vapeur d’eau dans le ciel, etc.

Parfois, nous ne pouvons imaginer qu’un certain