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Page:Valbezen - Les Anglais et l’Inde, 1857.djvu/429

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DEUX MOIS SUR LE GREAT-TRUNK-ROAD.

colères d’un digne ministre, mon compagnon de howdah, j’aurais, je l’avoue, récompensé avec joie d’un bon repas le roquet hargneux qui eût fait irruption au milieu de toutes ces nudités. Le défilé des baïragees terminé, il s’agissait de ne pas perdre de temps pour arriver aux liens sacrés en même temps que la procession ; aussi, sans délai, nous dirigeâmes nos intelligentes montures vers le ghaut par un chemin détourné.

L’aspect de ces lieux était en vérité quelque chose d’étrange et de grandiose. Une innombrable foule couvre de ses replis la surface des eaux, les toits des temples et des maisons. Partout où l’œil peut s’étendre, il ne rencontre à l’horizon d’autre espace vide que l’escalier sacré protégé par un triple cordon de sentinelles. Au milieu du fleuve, de riches natifs, des visiteurs européens dominent du haut de leurs éléphants ce prodigieux panorama, où l’observateur peut saisir au passage quelques scènes pleines de couleur locale. Un gros brahmine, triple menton, abdomen florissant, véritable triton, à la conque près, gambade au milieu des eaux en poussant des cris de joie comme un enfant. Plus gracieuse est la rencontre de deux jeunes filles, les seules jolies filles qu’il m’ait été donné de voir dans cette population de plus d’un million d’individus, qui s’embrassent tendrement et s’offrent réciproquement le liquide sacré de leur main droite. Des enfants conduisent leurs parents, aveugles ou affaiblis par l’âge, au sein du bain purificateur. Voici un pieux Énée, aux formes herculéennes, qui porte à califourchon sur sa cuisse une petite vieille, centenaire au