Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fange, je n’ai pas senti derrière moi l’œil des espions.

La police avait une épée et tuait en plein jour au coup d’État ; maintenant c’est autre chose.

On ne peut pas parler, on ne peut pas se taire… Les mots sont saisis au vol… les gestes et le silence sont mouchardés… Oh je sens la honte me monter, comme un pou, sur le crâne ! Mes impressions d’hier, mes espoirs de demain, tout cela est fané, rayé de sale tout d’un coup…


Quelle pitié !

Les bouches se ferment machinalement, nos yeux se baissent, nos faces s’essaient à mentir — parce qu’un homme à mine douteuse vient d’entrer et s’est mis dans ce coin…

Legrand m’a fait signe, et nous avons dû jouer la comédie comme au collège on criait : Vesse ! quand on croyait que le surveillant arrivait.

Je me sens plus malheureux que quand j’avais mes habits grotesques, que quand ma mère faisait rire de moi, que quand mon père me battait devant le collège assemblé ! Je pouvais faire le fanfaron alors, ici il faut que je fasse le lâche !

« Tu as raison, Legrand. Trouve-moi, comme à toi, un chapeau qui me tombe sur les yeux, une souquenille d’ermite, un trou de sorcier !

— Plus bas, plus bas donc ! »

Justement, le garçon a cligné de l’œil du côté de