Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/211

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Je dois avoir l’air vieux que je reprochais à mes amis ; j’ai vieilli, comme eux, plus qu’eux peut-être, parce que j’étais monté plus haut sur l’échelle des illusions !


Oh ! je voudrais oublier cela… en rire… m’enfiévrer d’autre chose !

Contre quoi se cogner la tête ?


Voilà huit jours que nous courons les restaurants de nuit en cassant des chaises et du monde ! Nous nous rattrapons sur les civils de ne pouvoir nous mettre en ligne contre les soldats. Nous courons après les heureux qui sont contents de ce qui se passe et qui s’amusent ; nous leur cherchons querelle avec des airs de fous !

Nous campons dans les restaurants des Halles où l’on passe les nuits.

On siffle du vin blanc, on gobe des huîtres. Mais ce vin nous brûle et fait bouillir dans nos veines le sang caillé de Décembre !

La nostalgie des grands bruits, le regret des foules républicaines me revient en tête, se mêle à mon ivresse bête, et la rend méchante.

Malheur à qui me regarde et me donne prétexte à insulte !

On nous défend de faire tant de bruit.

Mais nous venons pour en moudre, du bruit ! C’est parce que dans Paris, écrasé et mort, nous ne pouvons plus élever la voix, jeter des harangues,