Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/212

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crier : « Vive la République ! » que nous sommes ici et que nous poussons des hurlements.

Notre colère de bâillonnés s’y dégorge, nos gorges se cassent et nos cœurs se soûlent…


Le reste de mes cinq cents francs file vite dans cette vie-là !

L’achat des habits, le prix du voyage, le reliquat dû au père Mouton, avaient déjà fait un trou.

Il ne me reste plus que quelques pièces de cinq francs ; je les retrouve au milieu de gros sous qui se sont entassés dans mes poches.

Oh ! j’ai eu tort !

Maintenant que l’argent est parti, je me dis qu’en mettant le pied sur le pavé il fallait aller acheter tout de suite — le soir de mon arrivée — un mobilier de pauvre, et porter cela dans une chambre de cent francs par an dont j’aurais payé six mois d’avance.

J’avais cent quatre-vingt-deux nuits assurées — bien à moi ! clef en poche !

Je pouvais regarder en face l’avenir.

Ah bah ! — Je ne pouvais pas être heureux ! Quelques sous de plus ou de moins !

Petit à petit, d’ailleurs, la fièvre tombe, et il me reste de ma foi meurtrie, de ma crise de désespoir, une douleur blagueuse, une ironie de crocodile.

Je me retrouve avec mes quarante francs par mois — la même somme que lorsque j’arrivai rejoindre Matoussaint en pleine république et en pleine bohème.

Mais on ne vit plus maintenant avec quarante