Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/308

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Ma mère avait raison de dire que j’étais un maladroit. Je fais mal mon métier.

Je confonds les articles, je mêle les feuillets.

Je lis trop vite — quelquefois trop lentement.

Le correcteur est un homme laid, chagrin, un vieux fruit sec, qui me traite comme un mauvais apprenti.


J’ai une grosse voix, malheureusement, et il m’échappe des éclats qui sonnent, comme de la tôle battue, tout d’un coup dans le silence de l’imprimerie.

On se retourne, on rit, on crie : « Pas si fort, le teneur de copie ! »

Puis j’ai des distractions qui me font oublier de lire des membres de phrases tout entiers ; et c’est à recommencer ; à la grande colère du correcteur, à la grande fureur souvent de l’écrivain à qui je fais dire des bêtises, et qui vient le soir se fâcher tout haut : « Si c’est un crétin, qu’on le jette dehors ! »


Je ne fais pas l’affaire décidément.

On me met à la porte après treize jours et on prend un gamin de douze ans, qui n’a pas une voix de trombone et qui ne se donne pas de torticolis à dévisager les auteurs.

J’ai été tellement ridicule avec ma timidité, mes rougeurs, mes explosions de voix, ce torticolis, que je n’ose pas passer de deux mois dans la rue Coq-Héron. J’ai bien débuté dans les imprimeries !