Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/359

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J’ai toujours aimé les rivières !

De mes souvenirs de jadis, j’ai gardé par-dessus tout le souvenir de la Loire bleue ! Je regardais là-dedans se briser le soleil ; l’écume qui bouillonnait autour des semblants d’écueil avait des blancheurs de dentelle qui frissonne au vent. Elle avait été mon luxe, cette rivière, et j’avais pêché des coquillages dans le sable fin de ses rives, avec l’émotion d’un chercheur d’or.

Elle roule mon cœur dans son flot clair.


Tout à coup les bords se débrident comme une plaie.

C’est qu’il a fallu déchirer et casser à coups de pioche et à coups de mine les rochers qui barraient la route de la locomotive.

De chaque côté du fleuve, on dirait que l’on a livré des batailles. La terre glaise est rouge, les plantes qui n’ont pas été tuées sont tristes, la végétation semble avoir été fusillée ou meurtrie par le canon.

Cette poésie sombre sait, elle aussi, me remuer et m’émouvoir. Je me rappelle que toutes mes promenades d’enfant par les champs et les bois aboutissaient à des spectacles de cette couleur violente. Pour être complète et profonde, mon émotion avait besoin de retrouver ces cicatrices de la nature.

Ma vie a été labourée et mâchée par le malheur comme cet ourlet de terre griffée et saignante.

Ah ! je sens que je suis bien un morceau de toi, un éclat de tes rochers, pays pauvre qui embaume