Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/358

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Tout parle à ma mémoire : ce mur bâti de pierres posées au hasard et qui laissent de grands trous de lumière comme des meurtrières de barricade abandonnée : cette échelle de vigne qui a fait pétiller dans ma cervelle, ainsi que la mousse du vin nouveau, les réminiscences des vendanges — et ce bois sombre qui me rappelle la forêt de sapins où il faisait si triste et où j’aimais tant à m’enfoncer pour avoir peur !


Nous sommes à Lyon.

Je n’ai plus regardé ni vu les peupliers, les ruisseaux, le ciel ! J’ai cru seulement apercevoir là-haut, dans les nuages, une boule de sang ; au-dessous, il me semblait que j’entendais claquer une guenille de deuil.

J’ai ôté d’instinct mon chapeau — pour saluer le drapeau noir… le drapeau noir, étendard des canuts, bannière de la Guillotière !

C’est en 1832, au sommet de cette Guillotière en armes, que des blouses bleues portèrent, pour la première fois, sur des fusils en croix, le berceau de la guerre sociale !

Heureusement, nous avons passé vite et nous ne nous sommes point arrêtés… J’aurais perdu la joie du recueillement doux et profond, pendant les pèlerinages que j’aurais faits aux endroits où l’on avait crié : Vivre en travaillant, mourir en combattant !


À Saint-Étienne nous avons pris le train qui longe la Loire.