Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/366

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piano vous laissait froid. Vous préfériez passer dans le salon et causer de l’avenir de l’humanité avec des chauves… Ne dites pas non… j’écoutais aux portes.

Un beau jour, mon frère partit au diable avec ses épaulettes de sous-lieutenant. Il vous a revu chaque fois qu’il est venu à Paris pendant ses congés d’officier. Mais vous ne reparûtes plus devant la tapoteuse de piano. Voilà l’histoire. Non, ce n’est pas tout… Je vais rougir un peu… ne me regardez pas… Vous m’aviez frappée avec votre air bizarre… Cette idée de se battre à propos de rien, pour l’honneur… par amour du danger, cela me faisait oublier que ma musique vous déplaisait… j’étais un peu romantique, vous aviez l’air un peu fatal. Puis mon frère vous a suivi de loin dans la vie, nous avons parlé de vous souvent — très souvent… Il m’a conté que vous aviez supporté si bravement et si gaiement une certaine existence que vous aviez acceptée à plaisir — pour rester libre, — au risque de dîner avec les gâteaux de soirée quand vous alliez dans le monde, comme vous faisiez quand vous veniez chez mon oncle.

Je vous ai glissé ma part quelquefois, monsieur, sans que ni vous ni les autres y vissiez rien… même quand c’était de ces mokas de chez Julien que j’aimais tant, et que je vous sacrifiais… Bref, j’ai eu de vos nouvelles toujours ; et mon frère m’a plus d’une fois volée à votre profit dans sa correspondance ; je croyais que j’allais encore lire des câlineries à mon adresse, je tournais la page, c’était de M. Vingtras