Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/422

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mal. Je trouve qu’après avoir passé tant de temps dans les champs, s’en aller sans qu’il y ait un résultat, c’est prêter à rire. Je trouve que le but est manqué, que l’occasion sera perdue, et qu’elle ne se représentera peut-être jamais aussi belle.

Une autre idée aussi tracasse mon cerveau. Encore l’idée de pauvreté.

Toujours le spectre !

Puisque j’ai tant fait, puisqu’il y a eu déjà deux actes de joués, jouons le troisième, et jouons-le comme un pauvre qui peut donner son sang plutôt que son argent ; qui aime mieux recevoir aujourd’hui une balle que recevoir dans l’avenir des avanies qu’il n’aura peut-être pas le sou pour venger.

Les témoins insistent pour en rester là.

« Oui, si l’on veut me faire ici, sur place, des excuses — et complètes. »

Mon accent est dur et je semble faire une grâce.

Legrand répond du même ton, et par un signe qui veut dire : « Recommençons ! »

Le ciel est bleu, le soleil superbe ! Oh ! ma foi ! j’aurai eu une belle minute avant de mourir ! Je bois avec les narines et les yeux tout ce qu’il y a dans cette nature ! J’en emplis mon être ! Il me semble que j’en frotte ma peau. Allons ! dépêchons, et s’il faut quitter la vie, que je la quitte, baigné de ces parfums et de cette lumière !


« Messieurs, quand vous voudrez ! » dit un des témoins d’une voix presque éteinte.