Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/424

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être démolie comme ça en une seconde, et, d’ailleurs, Legrand a la figure colorée, l’œil clair.

Il me tend la main.

« Je ne t’en veux pas ; mais dans un duel entre nous, il fallait aller jusque-là. »

Je réponds oui d’un geste et d’un salut.

« Ôtez-moi mes bottines : il me semble que je souffrirai moins. »

Collinet prend son canif pour couper le cuir.

« Non, non, dit Legrand… Je n’ai que celles-là. »


Lui aussi, lui aussi ! Il a eu comme moi la préoccupation des sans le sou. Pendant qu’on chargeait les armes ; pendant que les témoins faisaient des phrases pour que nous consentissions à mettre plus de place entre nous et la mort ; pendant que nous marchions l’un sur l’autre dans cette prairie pleine de fleurs, pendant toute cette journée d’acharnement sauvage, le spectre de la misère s’est dressé devant ses yeux comme devant les miens ! Le spectre, toujours le spectre !


L’os est en miettes dans le bras et les bandes de toile se gonflent de sang. Quelques gouttes ont fait des perles rouges sur l’herbe : le petit chien vient les flairer et les lécher.

Collinet demande le secours d’un docteur.

Un des témoins et moi, nous partons pour en dénicher un.

Course inutile dans la campagne chaude et vide !