Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/63

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durci la peau et les os, — point le cœur, je ne pense pas ! mais je trouve je ne sais quelle joie féroce à m’aligner avec les fanfarons de vigueur.


À ceux qui ont eu la folie de me provoquer, je crie :

— Mais vous ne savez donc pas que j’ai dû me laisser rosser pendant dix ans… que les commandements de Dieu et de l’Église le voulaient… Je m’en serais bien moqué, mais si j’avais crié trop fort, on aurait destitué papa… Allons, rangez-vous, que je le corrige, ce fou qui me cherche querelle, à moi, l’échappé des mains paternelles !… J’ai dix ans de colère dans les nerfs, du sang de paysan dans les veines, l’instinct de révolte… Je ne voudrais pas être méchant, mais j’ai à faire sortir les coups que j’ai reçus… Ne me touchez pas ! Prenez garde !… Laissez-moi, vous dis-je ! j’ai trop d’avantage sur vous !


Autant je suis brutal avec qui effleure ma douleur ou ma fierté, avec qui veut prendre la succession du père Vingtras pour le coup de poing, autant je suis humble et routinier avec les camarades.

J’ai nommé Matoussaint le chef de notre clan — et, sans être enthousiaste de lui, tout en le blaguant à part moi, je le suis comme un séide. J’ai lu qu’il fallait s’entendre, être un cénacle. Je l’ai lu dans Mürger comme dans Dumas, et j’ai accepté le rôle de Porthos des Mousquetaires, presque le rôle de Baptiste dans la Vie de Bohème : parce que je suis nouveau, parce que mon enfance n’a rien vu, parce que je me sens gau-