Aller au contenu

Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

Je pars en courant, comme si j’étais devenu fou ; je descends de la place Maubert sur les quais, — il gelait à pierre fendre — j’ôte un vieux gilet que j’avais sous un paletot d’été, et, reprenant ma course, je remonte. Je me précipite rue de la Bûcherie, chez une brocanteuse.

« Combien voulez-vous de ce gilet ? me dit-elle.

— Quatre sous. »

À ce moment, sort, comme de dessous terre, un homme en blouse sale qui m’interpelle.

« Vous vendez ce gilet ? fit-il.

— Oui.

— Nous allons voir s’il est à vous.

— Il est à moi. »

J’avais à peine répondu, que, tirant lui-même sur mes manches, il m’ôte, sous le vent glacé du soir, le paletot qui était mon dernier vêtement, et me fait essayer le gilet qu’il mesure sur ma taille. Il eût pu se passer de me déshabiller. Le gilet était au premier coup d’œil trop grand — tous les gilets me sont trop grands !

Il fallait en justifier la possession.

« Il m’a été donné par telle personne, rue Saint-Fiacre…

— Allons-y, » me répondit l’homme.

Au tournant de la rue, nous passons devant un poste militaire. Mon conducteur m’engage à entrer et j’entre sans défiance aucune. Je pensais qu’on allait là s’expliquer et que tout serait dit.

Je suis bel et bien retenu et fourré au violon.