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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

vement, pour les déposer sur la banquette du café, une omelette dans du papier et du bœuf à la mode dans un bas de laine ; puis il demanda la Revue des Deux-Mondes.

J’étais intrigué, je l’avoue.

Mon homme était emprisonné, quoique au large, dans une redingote lie de vin, accrochée sur le ventre et retenue par un seul bouton, mais qui devait être bien cousu, si l’on songe à tout ce qu’il avait à porter.

C’étaient, à droite, à gauche, des gibbosités mouvantes, affectant des formes d’écuelle et de saucissons. Une cravate de l’ancien régime tournait deux fois comme un tapis autour du cou et s’engouffrait dans le pantalon : un pantalon de drap noir avec une bande d’argent sur le côté.

Comme je regardais cette bande d’un œil effaré, il me vit par-dessous la Revue, et, tout en pinçant le tissu sur sa cuisse, me dit :

« C’est le pantalon du préfet de la Dordogne. »


Je me serais ruiné pour cet homme-là ; je lui offris la consommation qu’il voudrait, à condition qu’il se déshabillerait moralement devant moi, et comme on me disait qu’il savait l’indostani, je me proposai pour élève.

Il dit que nous en reparlerions, et en même temps m’offrit ses services dans le cas où j’aurais des rasoirs à faire repasser.

Se moquait-il de moi ? Est-ce qu’on se moquait