de la prudence qu’il avait poussée jusqu’à cacher son nom, dans la publication de ses deux premiers livres, sous l’anagramme Alcofribas Nasier.
À vrai dire, s’il jouissait d’une grande vogue, ce n’était pas seulement pour ses folâtreries, c’était encore pour « une sale corruption[1] » qui excite aujourd’hui la répugnance et le mépris, et que nous avons le regret de voir unie à des vues d’une profondeur philosophique admirable. Dans la haute société du temps, on se plaisait à tenir un langage aussi mauvais que celui d’Alcofribas, dans les passages où il est le pire. Les mémoires du temps en font foi. Ne nous arrêtons donc pas davantage aux basses complaisances de Rabelais pour le libertinage grossier de la majeure partie de ses lecteurs, ne considérons que son génie.
À sa gaîté naturelle l’auteur de Gargantua joint une sagacité philosophique pleine de malice, un bon sens railleur, une finesse exquise de jugement, une franchise hardie, une prudente réserve. Ces qualités essentiellement gauloises, qu’il possède à un si haut degré, en font, parmi nos meilleurs écri-
- ↑ La Bruyère. Les Caractères, des ouvrages de l’esprit.