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LES POÈTES DU TERROIR

LE VILLAGE NATAL


Après vingt ans d’absence,
De retour au hameau qu’habita mon enfance,
Dieux ! avec quel transpopt je reconnus sa tour,
Son moulin, sa cascade, et les prés d’alentour !
Ce ruisseau dont mes jeux tyrannisaient les ondes,
Rebelles comme moi, comme moi vagabondes ;
Ce jardin, ce verger, dont ma furtive main
Cueillait les fruits amers, plus doux par le larcin ;
Et l’humble presbytère, et l’église sans faste ;
Et cet étroit réduit que j’avais cru si vaste,
Où, fuyant le bâton de l’aveugle au long bras,
Je me glissais sans bruit, et ne respirais pas ;
Et jusqu’à cette niche, où ma frayeur secrète
À l’œil de l’ennemi dérobait ma retraite,
Où sur le sein d’Eglé, qui partageait ma peur,
Un précoce plaisir faisait battre mon cœur !

Ô village charmant ! ô riantes demeures,
Où, comme ton ruisseau, coulaient mes douces heures !
Dont les bois et les prés, et les aspects touchants,
Peut-être ont fait de moi le poète des champs !
Adieu, doux Chanonat, adieu, frais paysages !
Jl semble qu’un autre air parfume vos rivages ;
Il semble que leur vue ait ranimé mes sens.
M’ait redonné la joie, et rendu mon printemps.

Cette clôture même où l’enfance captive
Prête aux tristes leçons une oreille craintive,
Qui de nous peut la voir sans quelque émotion ?
Ah ! c’est là que l’étude ébaucha ma raison ;
Là, je goûtai des arts les premières délices ;
Là, mon corps se formait par de doux exercices.
Ne vois-je point l’espace où, dans l’air s’élancant,
S’élevait, retombait le ballon bondissant ?
Jci, sans cesse allant, revenant sur ma trace.
Je murmurais les vers de Virgile et d’Horace.
Là, nos voix pour prier venaient se réunir ;
Plus loin… Ah ! mon cœur bat à ce seul souvenir !