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VI
INTRODUCTION

France, on ne saurait le nier, des frontières naturelles qui non seulement s’accommodent d’une délimitation de nos richesses d’art, mais doivent à ces dernières leur unique raison d’être. L’influence du sol, du paysage, se retrouve sans peine chez les écrivains les plus personnels. On écrirait de curieuses pages sur le caractère racial de nos chefs-d’œuvre. Il suffit que l’on prononce les noms de François Villon, Rabelais, La Monnoye, La Fontaine, pour que nous évoquions tour à tour l’Île-de-France, la noble et douce Touraine, la joyeuse Bourgogne et la blanche et lumineuse Champagne ! Le clair génie français n’est pas fait d’une unique aspiration vers un idéal commun, mais de contrastes harmonieux, et l’on ne sait si « l’esprit gaulois » doit plus à la malice septentrionale qu’à l’exubérance gasconne ou languedocienne. Il y a, semble-t-il, un enchaînement mystérieux qui relie, à plusieurs siècles de distance, les tempéraments les plus opposés et associe l’art d’un François Villon à celui de Baudelaire. Pourquoi n’observerait-on pas dans le domaine des lettres, et à propos de quelque individualité retentissante, les mêmes lois ethniques qui dominent les races et différencient les groupes sociaux ? Ce sera, si l’on veut, notre point de départ pour expliquer la méthode du présent ouvrage. L’histoire littéraire ne s’écrira plus demain comme elle s’écrivait hier. De nouveaux éléments intervenant, on sera peut-être obligé de recourir à l’étude de nos monuments locaux pour définir clairement telles

    la maison, il vous entend aussitôt. Vous l’étonneriez en lui disant que le pays est l’ancien pagus gaulois. Peu lui importe ; mais, étant plus près que nous de la nature, il en a gardé le sens, et, plus conservateur que nous, il est resté attaché a la tradition du vieux langage français. Cela suffit pour que le terme de pays ait à son oreille une signification très précise. C’est en vain qu’ont passé sur la Gaule tant de dominations étrangères, tant de régimes politiques ; c’est en vain que la carte de France a été grattée et regrattée, obscurcie de surcharges et de ratures. Le pays a survécu à tout ; comme ces vieilles monnaies retirées de bonne heure de la circulation, il subsiste dans tout l’éclat encore neuf de son ancienneté. Sous les caprices des délimitations les plus contradictoires, il a maintenu ses frontières presque aussi visibles qu’aux anciens âges. Il s’appelle ici la Maurienne, ailleurs le pays de Caux, là le Velay, la Bresse, la Thiérache, le Gâtinais, la Cerdagne. Il continue sous nos yeux ces petites contrées naturelles que le climat, la géologie, le relief, etc., avaient distribuées comme berceaux aux peuplades antiques de la Gaule. »