Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
VII
INTRODUCTION

particularités des grands mouvements d’art. Alors on se souviendra qu’il y eut une renaissance bourguignonne et lyonnaise au xvie siècle, que la société précieuse de l’hôtel de Rambouillet ne fut à proprement parler qu’une réunion de provinciaux, et que le romantisme ne s’affranchit jamais de ses origines « départementales ». On recherchera impatiemment l’ascendance de nos grands hommes, et il se trouvera bien quelque Aristarque pour découvrir que Paris, ville cosmopolite du xxe siècle, n’aura été pendant longtemps qu’un centre de l’esprit et de manifestations provinciales !

C’est un fait incontestable que tout génie créateur doit plus au terroir qu’on ne l’a cru jusqu’ici. Il lui doit le meilleur de son inspiration et cette part d’originalité qui le rend international. Chaque écrivain, élevé ou non à l’ombre du clocher, a subi, avec l’empreinte du milieu où il s’est développé, diverses contingences qui échappent à sa propre analyse. Ce qu’il traduit n’est pas seulement le reflet de tous les aspects du sol natal, mais la réalisation d’une foule d’impressions ancestrales. En lui sourdent et grondent les voix d’un passé indéterminé. Songe-t-on à ce qu’il faut de ces « voix » pour produire un chef-d’œuvre ? M. Maurice Barrès a dit que nous sommes l’aboutissement de nos morts ; il eût pu ajouter que nous nous transmettons, en la modifiant selon les principes d’une évolution psychique, une antique parole soumise à des rythmes nouveaux. La littérature n’est pas exclusivement une expression esthétique, mais un témoignage traditionnel destiné à se perpétuer de génération en génération. On comprend ce qu’une telle pensée a fait pour la vertu de nos dialectes. C’est une vérité un peu banale à émettre que les patois ont symbolisé la puissance du terroir. Ils furent si nombreux qu’on en comptait, il y a un siècle, près de trente mille, soit à peu près autant que de communes. On prétend, non sans raison, que, sauf dans le Midi, le Cotentin, la Bretagne et les Vosges, ils tendent à disparaître[1]. Faut-il attribuer leur déchéance à la suprématie de la langue officielle ou bien à l’indif-

  1. Albert Dauzat, Essai de Méthodologie linguistique dans le domaine des langues et des patois romans ; Paris, Champion, 1906, in-8° ; La Question des patois, La Revue du mois, 10 janvier 1908.