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LES POÈTES DU TERROIR

Seul roi, seul habitant des foyers entr’ouverts,
Le lézard au soleil livrer ses anneaux verts.
Quand la fleur de Noël, au fond de nos vallées,
Frémira sous le dard des premières gelées,
Nous irons de l’automne entendre encor la voix ;
Fouler d’un pied rêveur la couronne des bois ;
Près des flots jaunissants, sur le roc séculaire,
Voir passer des corbeaux le vol triangulaire.
Observer quel orage emprunte leur essor.
Ou les jette un moment sur ces paillettes d’or
Qu’enflamme le matin sur la rive opposée ;
S’encliaînant d’arbre en arbre et blanchis de rosée,
Admirer ces trésors, ces fils mystérieux
Qu’aurait tissus la Vierge et qui tombent des cieux.

VI

Là, sur cette contrée obscurément heureuse
Et du monde oubliés, nous dirons à la Creuse :
— Le bonheur était là, près du même rocher
D’où nous étions tous deux partis pour le chercher.
Source vierge, âme errante en ce vallon tranquille.
Ne va point à la mer, ne va point à la ville.
À la ville ? Tes flots voudraient-ils, dans leur cours,
Désaltérer l’esclave ou le tyran des cours ?
À la mer ? Quoi ! ton onde et si douce et si claire
Apprendrait à mugir et deviendrait amère ?
Qui, toi, porter la crainte aux pâles matelots !
Enferme en nos déserts tes destins et tes flots :
Reste avec deux amis ; longtemps leur paix profonde
Verra tes bords en fleurs et le ciel dans ton onde.
Et peut-être, enchaînant des destins éternels.
Ton cours réfléchira deux tombeaux fraternels.

Vallée aux Loups, Souvenirs et fantaisies, 1833.