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BERRY

temps qu’il s’y révèle le peintre de cette Nature à laquelle il demeura intimement attaché jusqu’à la fin. En 1883, il publia Les Névroses. Ce fut un triomphe. Bientôt les salons se disputèrent cet artiste au verbe puissant, à la voix profonde, émouvante, qui, par une musique appropriée à son vers, savait faire passer tour à tour dans l’auditoire « les ravissements de la vin et les terrifiantes visions de l’au delà ». Fêté, adulé, le poète ne se fit point illusion sur une gloire trop prompte pour être durable. On dit qu’un soir, lassé de l’enthousiasme qu’il avait provoqué, il disparût soudain… « Il se retira à Fresselines, au confluent des deux Creuses, sur la limite du Berry et de la Marche, et là, dans une maison de paysan, passa le reste de sa vie, pêchant, se promenant, méditant et composant quelques-uns de ses meilleurs poèmes. De 1883 à 1903, il donna au public les recueils suivants : L’Abîme (Paris, Charpentier, 1886, in-18) ; La Nature (ibid., 1892, in-18) ; Le Livre de la Nature (ibid., Delagrave, 1893, in-18) ; Les Apparitions (ibid., Charpentier, 1896, in-18) ; Ce que dit la Vie, ce que dit la Mort (Issoudun, Séry, 1898, in-8o) ; Paysages et Paysans (Paris, Fasquelle, 1899, in-18) ; et un choix de prose : En errant (Proses d’un solitaire) (ibid., 1903, in-18).

C’est pmdant son séjour au pays natal qu’il ressentit les premières atteintes du mal qui devait l’emporter. Une grande douleur intime, la porte d’une compagne dévouée, vint, en 1903, mettre le comble à sa détresse physique. Affaibli, se sentant irrémédiablement perdu, hanté de souvenirs cruels, il quitta son village et se fit conduire dans la maison de sauté du docteur Moreau de Tours, à Ivry-sur-Seine. Il mourut peu après, le 26 octobre 1903, à huit heures trois quarts du matin, d’une « attaque d’entéritt compliquée d’un marasme physiologique ». Il laissait la matière de deux volumes, dont l’un, En ruminant, fut publié par l’éoiteur Fasquelle en 1905.

Des nombreux articles qui furent écrits après sa mort, nous retiendrons les lignes suivantes de M. Gustave Geffroy [1]. Elles peignent l’homme dans son milieu et font aimer l’évocateur des sites, le peintre du paysan berrichon :

« Sans cesse hors de chez lui, c’est pendant les longues marches aux flancs des collines, aux creux des ravins, pendant les heures de pêche, au bord de l’eau lumineuse, que Rollinat sentait cette âme éparse qui lui inspirait ses poèmes. Que de fois, vous, ses amis, qui avez vécu près de lui, vous avez eu la nette perception que cet être bon et charmant, si intelligent, si gai, si amusant, était vraiment le compagnon de ces arbres, l’interlocuteur de ces eaux chuchoteusos, le véritable feu follet de ces marécages ! Combien de fois ne vous est-il pas apparu comme

  1. Cf. Revue du Bcrry, 1904.