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LES POÈTES DU TERROIR

de Pontoux, « Chalonnais » ; Philibert Guide, dit Hégémon : Philibert Bretin, d’Auxonne, et tant et tant d’autres qu’on se lasse de les citer tous.

Voilà pour une première époque. L’apport du xviie siècle est différent. Jusqu’ici on a pu observer un effort vers un art purement français où l’érudition tient une large place ; maintenant les dialectes interviennent. Le génie provincial s’éveille, prend conscience de lui-même. Une littérature, jaillie du sol, célèbre les vertus de la race. Au moyen âge, le bourguignon était un des quatre principaux dialectes de la langue d’oïl. Supplanté peu à peu par le « gentil parler » d’Île-de-France, il dégénéra en divers patois dont le plus connu, usité dans la « Côte d’Or », eut ses poètes de talent : Saint-Genès, le vigneron ; Pierre Dumay, qui traduisit en partie l’Enéide ; Aimé Piron, le chantre de la vie rurale ; et Bernard de la Monnoye, dont les fameux Noëls font encore la joie des veillées bourguignonnes.

« Il y avait alors, écrivent les Goncourt, dans cette Bourgogne heureuse, une cordiale bonne humeur, une forte et pleine santé de l’esprit, une gaieté du cru, chaude et généreuse, une gaillardise patoise, la fraternité, la jeunesse et le génie du bon vin. L’homme y mûrissait sans vieillir, gardant presque un siècle le rire de ses Noëls. Les Condé encouragaient ce bonheur et ces chansons. Par toute la patrie bourguignonne, quelle bonne joie salée sortait de ces fêtes des vendanges ! À la ville, que d’académies du gai boire, sans brigue, sans étiquette, sans amour-propre, où chacun n’apportait que la bonne volonté de rire ! Oh ! les heureuses aventures des muses fouettées de piquette à la table amicale ! Que de liberté, que de franchise, que d’égalité dans toutes ces sociétés d’amusement et de passetemps mutuels ! Quel essor ! que de flammes et d’étincelles, de ces paroles et de ces rimes, et de ces saillies et de ces contes heurtés en l’air au-dessus des pots ! Là se débridait la verve. Là, entre Horace et Rabelais, la Bourgogne accouchait les esprits. De ces portiques, qui n’enseignaient qu’à vivre, sortaient, prêts pour la gloire, tous ces fils de la glorieuse province, les Saumaise, les la Monnoie, les Crébillon, les Rameau, les Buffon. Que de gens d’esprit s’y trahissaient et que de gens de métier y devenaient poètes tout à coup ! Qu’un homme, oublié aujourd’hui, y avait d’applaudissements ! Que cet apothicaire y remportait, avec son idiome provincial, de belles victoires contre le parler de la France ! et comme cet Aimé Piron, le rival de la Monnoye, était le boute-en-train de tant de plaisantes écoles avec ses Ebaudisseman, ses Discor joyons et ses Hairangue dé vaigneron de Dijon[1] ! »

  1. Portraits intimes du dix-huitième siècle : Piron.