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LES POÈTES DU TERROIR

sont arrachés à la patrie d’adoption et incorporés de force à l’empire allemand. Alors une voix gémit, secoue les sapinières. Le poète est né. Il chante la terre, les forêts et les houblonnières, la cathédrale de Strasbourg, le Rhin prestigieux où se mirent les jolis clochers, « fleuve sacré, plein d’histoires et de mystères » : il dit les légendes de la race, le charme des blondes filles, les souvenirs, tantôt tristes, tantôt joyeux, du foyer et les coutumes du sol ; il dit aussi la colère des vaincus, l’espoir d’une génération terrassée… Puis la voix s’éteint dans un sanglot. La persécution, la proscription, ont étouffé le poète. Seul le paysan fredonne encore quelques couplets. Le dialecte alsacien règne dans les campagnes. M. Weckerlin recueille ses chansons et note des airs populaires. En 1883, paraît le Chansonnier de l’Alsace. On a signalé l’importance vitale des patois alsaciens, mélange de langue franque et de l’ « alémanique » ou souabe. Ces derniers sont âpres et traînants à la fois, mais pittoresques et savoureux ; ils conviennent aux ressources du peuple, et mieux qu’aucune autre langue traduisent l’âme mystérieuse de l’Alsace.

« Pendant la période française, dit M. A. Laugel, l’usage de leur dialecte suffisait aux Alsaciens pour affirmer leur originalité : ils se glorifiaient d’être des Allemands Français, et personne ne leur contestait ce titre. Mais lorsque leur pays fut incorporé à l’Allemagne, et après le premier moment de stupeur, ils eurent le sentiment secret que, pour continuer cette affirmation d’eux-mêmes, il fallait, à tout prix, qu’ils se distinguassent des nouveaux compatriotes que les lois de la guerre leur avaient donnés. L’usage du français leur étant interdit, et la langue officielle ne suffisant plus pour établir la distinction qu’ils voulaient affirmer, ils devaient en arriver forcément à cultiver et, pour ainsi dire, à ennoblir ce patois national qui leur constitue une particularité incontestable[1]. »

Après cela, faut-il donner un état actuel de la littérature française en Alsace ? Labeur vain. Dans une province où l’on ne trouverait peut-être pas dix écrivains dignes de figurer dans une anthologie, combien compte-t-on de poètes ? Notre choix suffira amplement. Est-ce à dire qu’il est complet ? Nous en doutons nous-même, mais nous ne pouvions tout citer. Néanmoins, nous ne saurions clore cette notice sans rappeler les noms de quelques écrivains qui célébrèrent la petite patrie : Louis Ratisbonne, rimeur suranné ; Charles et Paul Leser, auteurs des Chants du pays ; Albert Gérard, Mme Ernest Roerich, Alcanter de Brahm, évocateur légendaire, et particulièrement

  1. Cf. La Race et le Terroir, par Albert Grimaud ; Alsace, p. 398.