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ALSACE

partiellement d’abord [1], puis dans la quasi-totalité de son territoire, par l’incorporation de Strasbourg, en 1681, elle ne fit que confirmer des événements préparés de longue date et satisfaire au vœu des populations. « L’Alsace, selon Michelet, se donna à la France de bonne volonté. Ce ne fut pas un rapt, car ce fut un mariage. Il n’y en eut jamais de plus fidéle[2]. »

On comprend qu’il n’était guère question alors de littérature française sur une terre où les lettres allemandes florissaient depuis plusieurs siècles. Quelques-unes des plus hautes productions de l’art germanique sont nées à l’ombre du cette cathédrale de Strasbourg dont la flèche gothique svmbolise — ô ironie des mauvais jours ! — le génie français. L’Alsace s’enorgueillissait justement de Godefroy de Strasbourg, d’Ottfrid de Vissembourg, de Sébastien Brandt, l’immortel auteur du Navire des fols, de Sébastien Murrho, de Jean Fischart et de vingt autres dont les noms n’importent ici. Malgré l’etendue des connaissances latines, l’Université protestante de Strasbourg demeurait allemande. Ce n’est qu’à la fin du xviiie siècle que nous trouvons les premiers témoignages de l’art national, avec les productions de l’abbé Grandidier et de François Andrieux, membre de l’Académie française. Encore est-il juste d’observer que les ouvrages de ces derniers ne se ressentent nullement du lieu d’origine de leurs auteurs. Le premier ne faisait qu’imiter servilement les poètes de la cour du bon Stanislas, et le second se souciait assez peu de rimer pour les gens du terroir[3]. On a beau invoquer les fastes de la Révolution et de l’Empire, rappeler les hauts faits des Kléber, des Rapp, des Kellermann, aucune étoile ne brille au sommet du Parnasse alsacien. C’est à peine si le romantisme a inspiré quelques obscurs rimeurs dont les noms se sont perdus. De 1825 à 1870, l’Alsace compte à peine dix recueils de poèmes ; ils sont si faibles, et pour la plupart si médiocres, que nous ne nous croyons pas obligé de les énumérer. La lyre convient mal aux derniers descendants de l’antique Alsatia. Pourtant le pays est impressionnant, et d’autre part le génie local ne répugne point à l’œuvre littéraire. On nous signale des romanciers, des historiens, des érudits de tout premier ordre : de chanteurs, point. Viennent la tourmente, puis nos désastres. Le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, presque en entier,

  1. Traité de Westphalie (1045).
  2. Notre France.
  3. Une pièce de François Andrieux aurait mérité de figurer dans notre choix, si nous avions pu élargir notre cadre jusqu’à y faire entrer des poèmes dépourvus d’inspiration provinciale. Il s’agit, on l’a deviné, de l’anecdote plaisante du Meunier Sans-Souci, trop peu répandue en Allemagne. On trouve ce vers fameux :
    On respecte un moulin ; on vole une province.