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BOURGOGNE

Montagnes que voilait le brouillard de l’automne,
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l’émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,

Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide,
Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour
Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide,
Et, leur urne à la main, s’entretenaient du jour ;

Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?

J’ai vu des cieux d’azur, où la nuit est sans voiles,
Dorés jusqu’au matin sous les pieds des étoiles,
Arrondir sur mon front, dans leur arc infini,
Leur dôme de cristal (qu’aucun vent n’a terni ;
J’ai vu des monts voilés de citrons et d’olives
Réfléchir dans les eaux leurs ombres fugitives,
Et dans leurs frais vallons, au souffle du zéphyr,
Bercer sur l’épi mùr le cep prêt à mûrir ;
Sur des bords où les mers ont à peine un murmure,
J’ai vu des flots brillants l’onduleuse ceinture
Presser et relâcher dans l’azur de ses plis
De leurs caps dentelés les contours assouplis,
S’étendre dans le golfe en nappes de lumière,
Blanchir l’écueil fumant de gerbes de poussière,
Porter dans le lointain d’un occident vermeil
Des îles qui semblaient le lit d’or du soleil,
Ou, s’ouvrant devant moi sans rideau, sans limite,
Me montrer l’infini que le mystère habite ;
J’ai vu ces fiers sommets, pyramides des airs,
Où l’été repliait le manteau des hivers,
Jusqu’au sein des vallons descendant par étages,
Entrecouper leurs flancs de hameaux et d’ombrages,
De pics et de rochers ici se hérisser,
En pentes de gazon plus loin fuir et glisser,
Lancer en arcs fumants, avec un bruit de foudre,
Leurs torrents en écume et leurs fleuves en poudre,
Sur leurs flancs éclairés, obscurcis tour à tour,
Former des vagues d’ombre et des îles de jour,