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LES POÈTES DU TERROIR

Où le vieillard, assis au bord de sa demeure,
Dans son berceau de jonc endort l’enfant qui pleure :
Enfin un sol sans ombre et des cieux sans couleur,
Et des vallons sans onde ! — Et c’est là qu’est mon cœur !
Ce sont là les séjours, les sites, les rivages,
Dont mon âme attendrie évoque les images,
Et dont pendant les nuits mes songes les plus beaux
Pour enchanter mes yeux composent leurs tableaux !

Là chaque heure du jour, chaque aspect des montagnes,
Chaque son qui le soir s’élève des campagnes ;
Chaque mois qui revient, comme un pas des saisons,
Reverdir ou faner les bois ou les gazons ;
La lune qui décroît ou s’arrondit dans l’ombre,
L’étoile qui gravit sur la colline sombre ;
Les troupeaux des hauts lieux chassés par les frimas
Des coteaux aux vallons descendant pas à pas ;
Le vent, l’épine en fleur, l’herbe verte ou flétrie,
Le soc dans le sillon, l’onde dans la prairie,
Tout m’y parle une langue aux intimes accents,
Dont les mots entendus dans l’àme et dans les sens
Sont des bruits, des parfums, des foudres, des orages,
Des rochers, des torrents, et ces douces images,
Et ces vieux souvenirs dormant au fond de nous,
Qu’un site nous conserve et qu’il nous rend plus doux.
Là mon cœur en tout lieu se retrouve lui-même ;
Tout s’y souvient de moi, tout m’y connaît, tout m’aime !
Mon œil trouve un ami dans tout cet horizon ;
Chaque arbre a son histoire, et chaque pîerre un nom.
Qu’importe que ce nom, comme Thèbe ou Palmyre,
Ne nous rappelle pas les fastes d’un empire,
Le sang humain versé pour le choix des tyrans,
Ou ces fléaux de Dieu que l’homme appelle grands !
Ce site où la pensée a rattaché sa trame,
Ces lieux encor tout pleins des fastes de notre âme,
Sont aussi grands pour nous que ces champs du destin
Où naquit, où tomba quelque empire incertain :
Rien n’est vil ! rien n’est grand ! l’âme en est la mesure.
Un cœur palpite au nom de quelque humble masure,
Et sous les monuments dés héros et des dieux
Le pasteur passe et siffle en détournant les yeux.