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LES POÈTES DU TERROIR

Et faisait admirer à notre simple enfance
Comment l’astre et l’insecte invisible à nos yeux
Avaient, ainsi que nous, leur père dans les cieux !
Ces bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies,
Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries,
Là mes sœurs folâtraient, et le vent dans leurs jeux
Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux ;
Là, guidant les bergers au sommet des collines,
J’allumais des bûchers de bois mort et d’épines,
Et mes yeux, suspendus aux flammes du foyer,
Passaient heure après heure à les voir ondoyer.
Là, contre la fureur de l’aquilon rapide.
Le saule caverneux nous prêtait son tronc vide,
Et j’écoutais siffler dans son feuillage mort
Des brises dont mon âme a retenu l’accord.
Voilà le peuplier qui, penché sur l’abîme,
Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime,
Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux
Submergeaient lentement nos barques de roseaux,
Le chêne, le rocher, le moulin monotone,
Et le mur au soleil où, dans les jours d’automne,
Je venais sur la pierre, assis près des vieillards,
Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards.
Tout est encor debout, tout renaît à sa place ;
De nos pas sur le sable on suit encor la trace ;
Rien ne manque à ces lieux qu’un cœur pour en jouir
Mais, hélas ! l’heure baisse, et va s’évanouir !

La vie a dispersé, comme l’épi sur l’aire,
Loin du champ paternel les enfants et la mère.
Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts
D’où l’hirondelle a fui pendant de longs hivers.
Déjà l’herbe qui croît sur les dalles antiques
Efface autour des murs les sentiers domestiques,
Et le lierre, flottant comme un manteau de deuil,
Couvre à demi la porte et rampe sur le seuil.
Bientôt peut-être… Ecarte, ô mon Dieu, ce présage !
Bientôt un étranger, inconnu du village,
Viendra, l’or à la main, s’emparer de ces lieux
Qu’habite encor pour nous l’ombre de nos aïeux,
Et d’où nos souvenirs des berceaux et des tombes