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BOURGOGNE

S’enfuiront à sa voix comme un nid de colombes
Dont la hache a fauché l’arbre dans les forêts,
Et qui ne savent plus où se poser après !

Ne permets pas, Seigneur, ce deuil et cet outrage !
Ne souffre pas, mon Dieu, que notre humble héritage
Passe de mains en mains troqué contre un vil prix,
Comme le toit du vice ou le champ des proscrits ;
Qu’un avide étranger vienne d’un pied superbe
Fouler l’humble sillon de nos berceaux sur l’herbe,
Dépouiller l’orphelin, grossir, compter son or
Aux lieux où l’indigence avait seule un trésor,
Et blasphémer ton nom sous ces mêmes portiques
Où ma mère à nos voix enseignait tes cantiques !
Ah ! que plutôt cent fois, aux vents abandonné,
Le toit pende en lambeaux sur le mur incliné ;
Que les fleurs du tombeau, les mauves, les épines,
Sur les parvis brisés germent dans les ruines ;
Que le lézard dormant s’y réchauffe au soleil,
Que Philomèle y chante aux heures du sommeil ;
Que l’humble passereau, les colombes fidèles,
Y rassemblent en paix leurs petits sous leurs ailes,
Et que l’oiseau du ciel vienne bâtir son nid
Aux lieux où l’innocence eut autrefois son lit !

Ah ! si le nombre écrit sous l’œil des destinées
Jusqu’aux cheveux blanchis prolonge mes années,
Puissé-je, heureux vieillard, y voir baisser mes jours
Parmi ces monuments de mes simples amours !
Et, quand ces toits bénis et ces tristes décombres
Ne seront plus pour moi peuplés que par des ombres,
Y retrouver au moins dans les noms, dans les lieux.
Tant d’êtres adorés disparus de mes yeux !
Et vous qui survivrez à ma cendre glacée.
Si vous voulez charmer ma dernière pensée,
Un jour élevez-moi… Non, ne m’élevez rien !
Mais, près des lieux où dortl humble espoir du chrétien.
Creusez-moi dans ces champs la couche que j’envie,
Et ce dernier sillon où germe une autre vie !
Etendez sur ma tête un lit d’herbes des champs
Que l’agneau du hameau broute encore au printemps,
Où l’oiseau dont mes sœurs ont peuplé ces asiles