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Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/322

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LES POÈTES DU TERROIR

Vienne aimer et chanter durant mes nuits tranquilles.
Là, pour marquer la place où vous m’allez coucher,
Roulez de la montagne un fragment du rocher ;
Que nul ciseau surtout ne le taille et n’efface
La mousse des vieux jours qui brunit sa surface
Et, d’hiver en hiver incrustée à ses flancs,
Donne en lettre vivante une date à ses ans !
Point de siècle ou de nom sur cette agreste page !
Devant l’éternité tout siècle est du même âge,
Et celui dont la voix réveille le trépas
Au défaut d’un vain nom ne nous oubliera pas !
Là, sous des cieux connus, sous les collines sombres
Qui couvrirent jadis mon berceau de leurs ombres,
Plus près du sol natal, de l’air et du soleil,
D’un sommeil plus léger j’attendrai le réveil !
Là ma cendre, mêlée à la terre qui m’aime,
Retrouvera la vie avant mon esprit même,
Verdira dans les prés, fleurira dans les fleurs,
Boira des nuits d’été les parfums et les pleurs ;
Et quand du jour sans soir la première étincelle
Viendra m’y réveiller pour l’aurore éternelle,
En ouvrant mes regards je reverrai les lieux
Adorés de mon cœur et connus de mes yeux,
Les pierres du hameau, le clocher, la montagne,
Le lit sec du torrent et l’aride campagne ;
Et, rassemblant de l’œil tous les êtres chéris
Dont l’ombre près de moi dormait sous ces débris,
Avec des sœurs, un père et l’àme d’une mère,
Ne laissant plus de cendre en dépôt à la terre.
Comme le passager qui des vagues descend
Jette encore au navire un œil reconnaissant,
Nos voix diront ensemble à ces lieux pleins de charmes
L’adieu, le seul adieu qui n’aura point de larmes !

(Les Harmonies.)