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LES POÈTES DU TERROIR

encore, avec des côtes basses formidablement armées d’écueils à Pen’marc’h, merveilleusement chevelues de pins à la baie de la Forêt.

« A l’ouest, le trident farouche par quoi se terminent le Léonois et la Cornouailles, extrémité de l’Europe, aboutissement du monde, pays de l’horreur et de la désolation, ossature rocheuse sur laquelle le vent de la mer a tué toute végétation tandis que l’âcre baiser des embruns de tempête en stérilisait le peu de terre végétale qu’y ont laissé les ouragans : Pointe de Saint-Mathieu-Fin-de-Terre (Loc-Mazé-Pen-ar-bed) avec son avant-garde Ouessant, l’Île de l’Epouvante, Molène, Béniguet, archipel sinistre que bat le terrible courant Fromvour et le phare des Pierres-Noires : presqu’île de Crozon avec ses roches géantes des Tas de Pois, sa meute effroyable des écueils du Toulinguet, son cap menaçant de la Chèvre ; — pointe du Raz avec son morne cimetière de la baie des Trépassés, grève sinistre, et sa sentinelle farouche, l’Île de Sein, l’île druidique des Sept-Sommeils, les rochers des Chats et le phare de Tevennec. »

Voilà pour le coté pittoresque et descriptif. Examinons maintenant le caractère historique de cette province. Quand, à la suite de César, les légions romaines franchiront les Alpes pour venir soumettre le peuple celte, elles se brisèrent à la résistance armoricaine. Le sol conquis, c’est en vain que le vainqueur s’employa à imposer ses mœurs et à faire prédominer son langage. Au contraire, il subit l’influence des populations, à tel point qu’on n’est guère surpris de voir cette immense colonie latine gouvernée au vie siècle par des chefs originaires du pays. Race attachée fortement à ses traditions, à ses dialectes, le Breton ne sacrifia rien de son indépendance. Ni l’invasion normande au xie siècle, ni la croisade de 1245 et les querelles sanglantes entre les deux maisons de Blois et de Montfort, ni l’annexion à la couronne en 1532, ne parvinrent à le réduire. Lutte incessante et obstinée, telle apparaît son action à travers les siècles. Nous le trouvons aujourd’hui tel qu’hier, ayant conscience de sa destinée et gardant farouchement le patrimoine des ancêtres. Non qu’il méconnaisse le principe d’évolution, mais fonciérement individualiste, s’il se donne, c’est pour se reprendre ensuite.

La Révobition, en ôtant a la Bretagne ce qui lui restait de ses libertés anciennes, divisa, morcela cette « terre du passé », mais ne parvint point à ruiner son esprit original. Ce dernier a subi des modifications, mais il persiste à peu près intégralement. Il a, pour s’affirmer, un instrument unique : sa langue, dont l’origine remonte au temps des invasions saxonnes (vie siècle de notre ère). L’idiome celtique, répandu sur divers points du territoire armoricain, se divise en quatre dialectes : trégorrois, léonais, dialecte de Cornouailles, vannetais, celui-ci assez différent pour qu’il soit difficile à un Breton de Quimper de com-