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LES POÈTES DU TERROIR

veilleuses ressources de la poésie celtique ? Sans La Villemarqué, y aurait-il jamais eu cette renaissance du bardisme dont tout Breton a lieu de s’enorgueillir ? Qui se soucierait des vieux « bretonnants » du dernier siècle : Jean le Guenn, l’aveugle de Tréguier[1], Guill.-René de Kerambrun[2], Prosper Proux, « le mieux doué de tous les bardes de Cornouailles[3] », Jean-Marie

  1. M. Anatole Le Braz, dans l’édition des Soniou Breiz Izel, a donné sur Jean Le Guenn des détails fort intéressants. Ils ont été réimprimés dėjà par M. Jules Rousse dans son ouvrage sur la Poésie bretonne au dix-neuvième siècle, mais nous croyons qu’on les lira ici avec intérèt. « Il naquit sur la pente orientale de ce grand morne déchiqueté qui porte les communes de Plouguiel et de Plougrescant et qui est une des pointes extrêmes que pousse la Bretagne au cœur de la Manche. De bonne heure, il fut aveugle et il fit des vers… Il a fait imprimer de très jolies pièces, que le peuple accueillait avec plaisir. Il va sans dire qu’il ne les écrivait pas. En revanche, il les chantait bien. L’hiver, il s’enfermait dans sa chaumine de Kersuliet, près de la Roche-Jaune, au bord de la rivière de Tréguier. Là, assis au coin de son foyer, en compagnie de Marie Petibon, sa femme, tandis que s’harmonisaient au dehors les bruits de la marée et ceux du vent, il pratiquait son art et cousait des vers bretons l’un à l’autre. Le couplet terminé, il taillait dans un morceau de bois une coche, à la manière des boulangers. Chaque chanson avait tant de coches, c’est-à-dire tant de couplets… L’été venu, Iann Ar Guenn et Marie Petibon émigraient côte à côte et se promenaient de bourg en bourg, au hasard des fêtes locales. Adossé au mur du cimetière, Iann prenait une de ses lattes, en parcourant du doigt les tailles, y lisait avec les yeux de l’âme la sôn qu’il y avait sculptée et la chantait devant la foule. Ses pérégrinations aboutissaient toujours à Morlaix, ville des éditeurs bretons. On le voyait entrer chez Ledan. Quand il en sortait, la presse avait fixé, à l’usage du peuple, ses passagères inspirations. Grâce à ce papier à chandelle, Iann Ar Guenn eut la vogue et presque la gloire…»
  2. Il naquit a Begar (Côtes-du-Nord), le 6 juin 1813, et mourut le 2 mars 1852, chez son père, à Prat, arrondissement de Lannion. Non seulement il s’employa à rechercher des chants populaires, mais il en composa qu’il fit passer pour authentiques. Ces derniers, selon M. Jules Rousse, firent longtemps l’objet des dissertations savantes des érudits.
  3. Prosper Proux descendait d’une famille noble, les Duparc. Il était né au début du siècle dernier, à Poullaouen, près de Carhaix, au cœur du Finistère. Orphelin dès son jeune âge, il fit ses études au collège de Saint-Pol, dans les lycées de Saint-Brieuc et de Lorient, ensuite il voyagea. De retour au pays, il se maria et, pendant vingt ans, occupa l’emploi de percepteur. Il mourut de la rupture d’un anévrisme, à Morlaix, le 11 mai 1873, laissant deux recueils de vers bretons : Kananouennou gret gant ur C’hernevod (Chansons faites par un Cornouaillais), Saint-Brieuc, Prudhomme, 1838, in-8o ; Rombard Kerne (La Bombarde de Cornouaille), Guingamp, P. Le Goffic, 1866, in-8o. Il faut lire cette jolie pièce : Si j’étais barde (en breton : Mar vijen barz), insérée dans le Bleuniou Breiz de 1888, pour se faire une idée de son génie évocatoire. Nous traduisons : « Ah ! que n’ai-je