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LES POÈTES DU TERROIR

nous joindre aux recueils théoriques un véritable trésor de lyrisme et de tradition locale ? Et c’est d’autant vrai, l’exemple de La Villemarqué aura été si fécond, que les plus dociles imitateurs de Brizeux n’auront fait que s’inspirer des anciens concepts armoricains. Brizeux lui-même, si original et si pénétrant, Brizeux le plus grand des poètes bretons et le fondateur de toute renaissance provinciale, n’aura pas échappé à linfluence du Barzaz Breiz. Il lui devra cette sorte d’exaltation mystique qui ne sera pas l’une de ses moindres qualités d’artiste.

Qui osera maintenant détacher un anneau — fùt-il de provenance douteuse — de la chaîne traditionnelle ?

Dirons-nous après cela les mérites de la littérature bretonne d’expression française ? Tâche stérile, objecteront dédaigneusement quelques-uns. Pourtant, il y a là une idée de beauté, indépendante de toute école, et qui ne doit rien aux formes dont elle s’est revêtue. Ne suffit-il point que les mots éprouvent une atmosphère inaccoutumée et subissent l’empreinte des races pour qu’ils deviennent soudain des motifs émotionnels ? Nous connaissons par le menu l’œuvre du siècle qui nous précéda, mais nous n’osons nous flatter d’en avoir donné un tableau complet et fidèle, tant la production poétique est abondante. Cette réserve n’existe point pour les époques antérieures. Jusqu’au xixe siècle les poètes français sont si peu nombreux en Bretagne qu’au cours de près de quatre cents ans c’est à peine si nous relevons cinq noms dignes de mémoire. On nous représentera vainement qu’il en est d’autres qu’un ouvrage récent a mis en lumière[1]. Parce qu’un écrivain est né sur la terre bretonne, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il soit représentatif de cette province. Il est des exemples contraires. Parmi les auteurs du xviie siècle on s’est plu à signaler : Nicolas Dadier, François Auffray, Paul Hay du Chatelet, René de Ceriziers, Philippe Le Noir, du Bois Hus, Jean de Montigny, l’abbé de Francheville, qui sais-je encore ? C’était montrer plus de complaisance que d’esprit critique. Versificateurs qui ne se recommandent ni par l’esprit ni par la langue ou l’imagination, ces derniers appartiennent trop souvent au sillage laissé par un écrivain notoire, ou bien se rattachent à la décadence d’une école. Les uns sont renaissants après Ronsard, précieux avec les beaux esprits : les autres se montrent élégiaques ou didactiques, selon la fortune du temps. Il en est enfin qui ne se recommandent de rien ni de [2]

  1. Cf. Anthologie des poètes bretons du dix-septième siècle, par Stéphane Halgan, comte de Saint-Jean, O. de Gourcuff et René Kerviler, etc.
  2. logement où s’abritait sa vieillesse, ses admirateurs et compatriotes firent transporter ses restes au Conquet, où ils furent solennellement inhumés le 12 octobre 1845.