Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
380
LES POÈTES DU TERROIR

S’informaient de Marie, objet de mes amours,
Et si, pour l’embrasser, je la suivais toujours ;
Et comme ma rougeur montrait assez ma flamme,
Ces sœurs, qui sans pitié jouaient avec mon âme,
Curieuses aussi, résolurent de voir
Celle qui me tenait si jeune en son pouvoir.

À l’heure de midi, lorsque de leur village
Les enfants accouraient au bourg, selon l’usage,
Les voilà, de s’asseoir, en riant, toutes trois,
Devant le cimetière, au-dessous de la croix ;
Et quand au catéchisme arrivait une fille,
Rouge sous la chaleur et qui semblait gentille,
Comme il en venait tant de Ker-barz, Ker-halvé,
Et par tous les sentiers qui vont à Ti-névé,
Elles barraient sa route, et par plaisanterie
Disaient en soulevant sa coiffe : « Es-tu Marie ? »
Or, celle-ci passait avec Joseph Daniel ;
Elle entendit son nom, et vite, grâce au ciel !
Se sauvait, quand Daniel, comme une biche fauve,
La poursuivit, criant : « Voici Mai qui se sauve ! »
Et, sautant par-dessus les tombes et leurs morts,
Au détour du clocher la prit à bras le corps.
Elle se débattait, se cachait la figure ;
Mais chacun écarta ses mains et sa coiffure ;
Et les yeux des trois sœurs s’ouvrirent pour bien voir
Cette grappe du Scorf, cette fleur de blé noir.


L’ÉLÉGIE DE LE BRAZ


Si vous laissez encor les beaux genêts fleuris
Et les champs de blé noir pour aller à Paris,
Quand vous aurez tout vu dans cette grande ville,
Combien elle est superbe et combien elle est vile,
Regrettant le pays, informez-vous alors
Où du pauvre Le Brâz on a jeté le corps.
(Son nom serait Ar-Bràz[1], mais nous, lâches et traîtres,
Kous avons oublié les noms de nos ancêtres.)
Et puis devant ce corps brûlé par le charbon

  1. Le Grand.