Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
BRETAGNE

— J. Rousse, La Poésie bretonne au dix-neuvième siècle ; Paris, Lethielleux, 1895, in-18.



UNE IDEE SOMBRE


Quand je reviens joyeux dans ma belle Bretagne,
Au sortir de Paris, de ce triste Paris
Où l’on ne voit ni mer, ni forêts, ni montagne,
Où l’on traîne des jours ennuyés et flétris ;
Quand j’ai passé le seuil, quand j’ai franchi l’entrée
De la noire maison gothique et retirée,
Et qu’un instant après je tombe dans les bras
De mes deux bien-aimés qui ne m’attendaient pas.
Oh ! de quelque bonheur que mon âme soit pleine.
Dans ces rares moments d’ivresse surhumaine,
Quel que soit mon transport, un indicible ennui
S’éveille à l’heure même et se mêle avec lui.
J’aperçois, et c’est là ce qui me désespère,
Quelques rides de plus sur le front de mon père.
Ma mère aussi, ma mère attriste mon regard :
Ses cheveux sont encor plus blancs qu’à mon départ.
Et des larmes d’efffroi roulent sous mes paupières :
Ô mon Dieu ! gardez-moi ces deux âmes si chères !
Gardez mon doux trésor, il est là tout entier ;
S’il vous faut l’un des trois, prenez-moi le premier.
Prenez-moi ; que ferais-je, hélas ! dans ce vain monde.
Sevré des tendres soins dont leur amour m’inonde ?
Je ne demande rien, ni gloire ni bonheur,
Mais leur vie est ma vie, il me la faut, Seigneur !

(Primavera, 1841.)