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LES POÈTES DU TERROIR

Au pays de Mireille, à l’ombre du platane,
On déjeune d’un bon melon de Barbentane.
A-t-on le gosier sec, après le siroco ?
On se contentera d’un verre de coco.
Mais nous, nous qui vivons sous d’autres latitudes,
Nous avons d’autres goûts et d’autres habitudes.
Nous vivons dans la brume et dans l’humidité.
Étonnez-vous qu’on mange avec avidité !

Ah ! ce n’est point d’oignons, de pastèques, d’amandes,
Que nous meublons le creux de nos panses gourmandes.
Il nous faut d’autres mets que des gâteaux de riz.
C’est de bœuf et de lard que nous sommes nourris.
Les soupes, que l’on trempe aux marmites béantes,
Et qu’on bâfre dedans des écuelles géantes ;
Les bouillis monstrueux, les boudins succulents,
Le lard rose, qu’on sert en quartiers opulents,
Et qui laisse au menton deux longs sillons de graisse ;
L’andouille, dont l’odeur vous met en allégresse ;
Les tripes, les rognons, les divins aloyaux,
Voilà nos mets, à nous, gastronomes royaux !

Or, quand le ventre agit, quand l’estomac travaille,
Nous leur aidons, avec d’abondante buvaille.
Pour faire, au fond du sac, descendre les morceaux,
Du cidre à plein gosier, du cidre par ruisseaux !

Donc il faut boire. Donc nous buvons. C’est affaire
De zone, de climat, de degré sur la sphère.
Ô Bretons, Bas-Bretons, paillards et ripailleurs,
J’y pense et j’en frémis : nous pouvions naître ailleurs !
Oh ! Dieu ! s’il nous fallait vivre loin de la France,
Parmi les Esquimaux, ces mangeurs d’huile rance,
Ces malheureux qui n’ont, en guise de boisson,
Que l’amer déplaisir de sucer un glaçon.
S’il nous fallait, en plein désert, traire aux chamelles
Le lait dur et moisi de leurs vieilles mamelles,
Et nomades, avec les pasteurs de troupeaux.
Humer l’eau qui croupit dans des outres de peaux !
Nous pouvions naître encor sur les bords de la Seine :
Là, des gens patentés font le commerce obscène
De vendre au pauvre diable un vin sur et malsain,