Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/484

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
462
LES POÈTES DU TERROIR

Mais, ô chère patrie ! en plus d’un cœur peut-être
Le regret vit encor de ta rusticité.

Non ! dans tous ses anneaux elle n’est pas brisée,
La chaîne d’or qu’enlace un illustre laurier !
Car, si les jeunes gens vont, la tête rasée,
Se choisir à Quimper des habits d’ouvriers,

Les vieillards ont encor la longue chevelure,
La veste de drap bleu qui résiste au travail,
La guêtre à glands de laine et la large ceinture
Au grand fermoir de cuivre incrusté de corail.

La terre est belle encor pour de longues années,
Et plusieurs sont venus de pays très lointains
Qui s’y croyaient en Suisse ou dans les Pyrénées,
Et pourtant sous l’azur des ciels napolitains.

Ô jardin naturel ceint d’un âpre rivage !
L’arbre, orme, chêne ou pin, croît au bord de la mer,
Et je sais une crique où l’églantier sauvage
S’incline tout en fleurs et trempe au flot amer.

Et de tous ces beaux lieux ou souriants ou sombres
(Un poète l’a dit) les noms parlent au cœur :
Coutaner, Bois de l’Aigle ! Étendu sous tes ombres,
Un jour, de tous mes maux je me suis cru vainqueur !

III


Mais le sifflet brutal des machines prochaines
Nous avertit du siècle et des coups destinés.
Assez d’illusion ! les rochers et les chênes
Par le fer et le feu seront déracinés.

Ô peintre ! le progrès traîne une ombre mauvaise
Et, plus que ses aînés, ce siècle est niveleur…
Mais qu’il coupe les bois ou mine la falaise,
Vous en aurez sauvé le granit et la fleur !

La lande et le rocher resteront sur vos toiles
Pour faire à nos neveux l’ennui de ce remords
Qu’il fut aux mêmes lieux, sous les mêmes étoiles,
D’autres aspects, plus beaux que ceux des jours d’alors.

(Poésies complètes, 1873-1903.)