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BRETAGNE

Le Passé, comme un mort trop tôt enseveli,
Ecartant son linceul, montre au Présent la route
Où la Bretagne avec ses fils s’avance toute.
Quand a frémi la terre auguste des aïeux,
J’ai connu, j’ai senti, j’ai vu l’œuvre des dieux…
Moi, Druide, dont l’âme habite en ce vieux chêne,
J’ai souffert que mon bois fût violé ; sans haine,
Avec l’envahisseur, et la main dans la main,
Je demande à marcher par le même chemin.
Dans tous ces étrangers je reconnais des frères
De même race et sang ! Celtes aux fronts sévères,
Marins et paysans, gars robustes et doux,
L’une et l’autre Bretagne ont reflué vers nous.

Depuis que, s’échappant des ardentes poitrines
De la foule, et chassant les passions chagrines,
Un appel fraternel a monté vers l’azur.
Le prophète Merlin ne pleure plus Arthur.

Oui, la Bretagne s’est ressaisie et reprise
Dans une immense joie, et sa tristesse grise
S’en est allée où vont les fantômes du soir.
Des bardes, des vieillards, des preux, vinrent s’asseoir
Près du menhir géant, et leur aréopage
Écoutait la rumeur sourde qui se propage.
On entendit de loin sonner confusément
Le biniou, le corn-boud et tout autre instrument
(Fùt-il la cornemuse ou la simple bombarde)
Digne d’accompagner le chant breton du barde.
Dans le rayonnement d’un magique décor,
J’ai vu Calédonie, Erin, Galles, Armor !
Les quatre sœurs, venant par des pentes fleuries.
Exhalaient dans leurs chants l’âme de leurs patries ;
Âme d’Écosse en fête, esquif fendant le flot.
Âme d’Irlande en deuil, étoufifant un sanglot.
Âme des durs Gallois d’entre mer et montagne,
Âme mélancolique et fière de Bretagne.
La bruyère, le gui de chêne et le genêt,
Qu’entre toutes les fleurs le Celte aime et connaît,
Apportaient dans le vent leurs arômes rustiques
Aux chanteuses debout près des pierres antiques.

(Gens de Bretagne.)