Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/495

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
473
BRETAGNE

SUPPLIQUE AU LUTTEUR DE SCAËR.


Lutteur trapu, terreur des hommes et des bêtes,
Qui portes, sans faiblir, un poulain de deux ans
Et dont le torse nu, marqué de doigts pesants,
Fume au soleil parmi la poussière des fêtes,

Ô lutteur de Scaër, aux cheveux plantés bas,
Dont le col de taureau se gonfle sous l’outrage,
Chôme, un de ces matins ! — Quitte ton labourage,
Marche vers mon logis armé de ton penn-baz ;

Suis, vers le haut des monts, la route forestière
D’où l’on voit, par instants, la mer à l’horizon ;
Tes pieds seront moins las en foulant le gazon ;
Tu gorge s’emplira de la brise côtière.

Ménage ton haleine ; arrive avec lenteur.
Je t’attendrai dans mon courtil, clos d’aubépines ;
Le merle noir, en paix, y vit de ses rapines,
L’abeille y va dormir dans les pois de senteur.

Tu le reconnaîtras à son calme, à son ombre,
Le jardin broussailleux que négligent mes bras :
Regarde par-dessus la haie, — et tu verras
Un rêveur au front blanc sous le feuillage sombre.

Je suis un fou d’amour, de ceux dont tu souris !
Et j’incline ma tête où tournent des chimères,
Des songes fugitifs pareils aux Éphémères
Virant sans fin dans l’air profond des soirs fleuris !

L’aurore, en mon enclos, se parfume de menthe,
Midi ruisselant d’or s’empourpre aux groseilliers,
La nuit tombe en faisant chanter les peupliers ;
À quoi bon ? Plus jamais n’y viendra mon amante !

Donc, par-dessus la haie, ô lutteur inclément,
Tu me verras pleurer. — Raille-moi, je t’en prie !
Sois amer, sois cruel ! Trouble ma rêverie !
Que ton brutal défi ravive mon tourment !

Insulte mon amour ! Je veux que tu l’insultes !
Pour que, malgré les yeux injectés de sang vil,