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BRETAGNE

Mais alors je me baigne en la brise marine
Qui donne sa saveur à mon aigre gazon,
Et m’enivre au parfum d’une herbe qui s’obstine
À répandre en tous temps sa fine exhalaison.


N’aimais-tu pas venir dans ces mois où nous sommes,
Enfant qui dédaignais les amis et les jeux,
Rêver dans ce chemin — presque ignoré des hommes —
Pour son parfum et son aspect religieux ?

Aux amis de la paix et de la solitude
Je réserve toujours mon ombre et ma chaleur.
Dans ma paix éternelle et ma sollicitude
J’ai des philtres d’oubli pour charmer la douleur.

De paisibles troupeaux, mes hôtes ordinaires,
Vivent ici des jours sans crainte et sans soucis,
Ignorant les effrois de tant d’hommes qui n’errent
Que pour rentrer le soir plus sombres au logis.

Comme je me souviens de l’époque lointaine…
— Hélas ! déjà !… Le temps comme un songe s’enfuit. —
Où tu venais ici rêver, jeune âme en peine,
Enfant que le silence a de tout temps séduit.

Ignorant des penseurs et des philosophies,
À la cause montant par les créations,
Tu découvrais le Dieu qu’encor tu glorifies,
Malgré les trahisons et les négations.

Curieux, bâtissant tes ingénus systèmes,
Ton esprit inventif se donnait libre cours :
Le Rêve et l’Action, usant leurs stratagèmes,
Déjà te disputaient… comme ils l’ont fait toujours.

Car je vois aujourd’hui que tu reviens encore,
Par les traits amaigris, par les yeux douloureux,
Que ton âme en exil de désir se dévore,
Que le sort t’a meurtri de ses doigts vigoureux.

Mais puisque te yoici, qu’aux lieux de ta jeunesse
Tu reviens affranchi du joug, enfin brisé,
De toi-même nourri, que ta force renaisse,
Que tes bras retrempés tendent l’arc irisé,